: Interview "Mon travail s’articule autour de la rue, du mobilier urbain et de l’humour" : le street-artiste Likeca détourne les panneaux de signalisation

C'est la première exposition solo du street-artiste Likeca dans le cadre du Festival des Cultures Urbaines, à découvrir au Centre Maurice Ravel à Paris jusqu'au 18 mai
Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8 min
Likeca, le street-artiste expose en solo au centre Maurice Ravel à Paris, le 7 mai 2024 (CORINNE JEAMMET)

Ravel tombe dans le panneau, la première exposition solo du street-artiste à Paris à découvrir au Centre Maurice Ravel jusqu'au 18 mai dans le cadre du Festival des Cultures Urbaines, est l'opportunité de découvrir une trentaine de créations insolites de Likeca.

Utilisant la technique du pochoir, le jeune artiste français, basé dans l’Est de la France, transforme des panneaux de signalisation en œuvres d'art urbain. Son objectif : apporter un sourire aux passants et égayer le quotidien. À travers son travail, il cherche à casser la monotonie du paysage urbain en réinventant ces objets familiers. Pour lui, détourner un panneau de signalisation, c'est aussi briser les normes et inciter à la réflexion sur le pouvoir et le contrôle dans nos sociétés. Rencontre et explications ponctuées d'une pointe d'humour.

Franceinfo Culture : Que signifie votre signature Likeca ?
Likeca : Mon pseudo se prononce "lit-queue-cas" mais cela devrait être anglicisé Like C A. Like signifiant "aimer" mais aussi "comme". Dans le cas présent, Likeca veut dire "comme C A" : initiales de Clet Abraham, l'un des pionniers français du détournement de panneaux de signalisation qui travaille avec la technique du sticker. J'ai trouvé sympa cet hommage à un artiste que j’apprécie et qui m’inspire.  

J’ai pris un pseudonyme pour deux raisons : dans la culture graffiti, les "blases" [signatures] sont communs et aussi, quand j’ai débuté j'avais 17 ans et ne me voyais pas signer de mon vrai nom, au vu des répercussions judiciaires possibles puisque j'étais mineur. Ce qui m'intéresse c'est le détournement mais je ne signe pas mes panneaux, la signature est secondaire.

Quel est votre parcours ?
Je n’ai pas du tout un parcours artistique. Pas de Beaux-Arts, pas d’école de design ou de graphisme mais j’ai toujours aimé "l’image". J’ai un master Information-Communication à l'Institut Français de Presse décroché à Paris II - Panthéon-Assas en 2021, rien à voir avec le monde de l’art !

Au collège, grâce aux jeux vidéo notamment, j'ai pris en main des logiciels de montage et appris à dessiner à l’ordinateur et pour mieux prendre en main ces logiciels, j'avais acheté une petite tablette graphique et, à l'époque, il y avait déjà pas mal de tutos YouTube. Cela m’a aidé quand j’ai commencé à faire des pochoirs : les miens restent encore découpés à la main, c'est mon petit plaisir ! 

Quelles sont vos sources d'inspiration artistiques ?
J'ai trois grandes sources d’inspiration artistiques. Premièrement, le mouvement des pochoiristes français - Jef Aerosol, C215 ou Miss Tic - qui, lui-même, tire sa source des mouvements punk et rock. Deuxièmement, la pop culture dans l’utilisation systématique du quotidien et de figures connues et reconnues. Enfin, mon inspiration provient légitimement de Clet Abraham, l’un des pionniers du détournement de panneaux de signalisation.

Pourquoi détournez-vous ces panneaux ?
Franchement, juste parce que ça me fait marrer. Si un jour ça arrête de me faire rire, je pense que j’arrêterai. Mais ce n’est pas près d’arriver. 

Votre art est une passion ?
Je ne vis pas de mon art et je n’ai pas envie d’en vivre. Je me sens plus libre de le vivre comme une passion. Sur mon site internet, j'ai un catalogue de mes panneaux disponibles avec leur prix mais ce n'est pas ce qui m'intéresse en premier. Aujourd’hui, mon travail principal - qui me permet de payer mon loyer et de vivre - est dans le monde agricole. Rien à voir mais je m’éclate ! 

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Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez détourné un panneau de signalisation ?
Je m’en souviens comme si c’était hier : je vois encore très bien le panneau et le lieu. C’était une chaude nuit de l'été 2015, j’étais encore mineur et je venais de rentrer en Licence de Droit à la faculté de Nancy. Je faisais déjà des graffs sur les murs avec des pochoirs mais je n’avais jamais imaginé "m’attaquer" aux panneaux de signalisation. J’avais repéré un vieux sens interdit, pas très loin de la gare de Pont-à-Mousson, en Lorraine, d’où je suis originaire. J’avais préparé un pochoir assez simple avec deux yeux. L’objectif : les graffer au milieu de ce sens interdit. Il n’y avait pas vraiment de message, je trouvais juste ça esthétique et ça faisait rire mes amis. Puis, j’ai commencé à avoir d'autres idées de détournements : le panneau avec Babybel, le basketteur et tout s’est enchaîné.

Comment choisissez-vous vos panneaux ?
Dans la rue, je choisis surtout des panneaux qui ne sont pas trop hauts. Je n’en ai jamais fait à Paris car ils sont souvent très hauts. Avec les pochoirs, c’est compliqué d’aller vite sur des panneaux trop en hauteur. On retrouve mes détournements plutôt en banlieue (93-94) ou en Lorraine.

Pourquoi utilisez-vous la technique du pochoir ?
Au lycée j'avais un groupe de musique - qui existe toujours - et, un jour, le guitariste avait trouvé un ancien pochoir d'AC/DC et on s'est dit pourquoi ne pas faire un pochoir avec le logo du groupe ? Donc on a essayé de le faire nous-même en cherchant sur Google. Le pochoir présente deux intérêts : il est réutilisable et permet d’être très rapide. Une des bases de mon art est de garder lisible le panneau. Je dis souvent qu’un (bon) détournement doit respecter trois règles : il faut d'abord que l’on reconnaisse au premier coup d’œil le panneau originel, ensuite ce qui a été rajouté (Napoléon, des poissons, un Babybel....). Enfin, la troisième règle découle des deux premières : il faut avoir envie de sourire en voyant le panneau.

Le street artiste Likeca détourne un panneau de signalisation
Le street artiste Ikeca détourne un panneau de signalisation Le street artiste Likeca détourne un panneau de signalisation (LIKECA)

Votre travail est divisé en plusieurs séries ? 
Oui, j'en ai trois : la série principale, le panneau de signalisation est un objet du quotidien (alors pourquoi on ne mettrait pas d'autres objets dessus), une autre série est : l'art tombe dans le panneau (en reprenant des œuvres d'art plus ou moins connues). Et la dernière autour des panneaux directionnels. 

Travaillez-vous sur d'autres supports du mobilier urbain ?
J’essaye plein de choses ! Je suis originaire de Pont-à-Mousson, la ville des plaques d’égout, j’expérimente en ce moment avec cet objet. Je travaille aussi sur les passages cloutés avec l’écriture de niaiseries qui font sourire. Mon travail s’articule autour de la rue, du mobilier urbain et de l’humour !

C'est de la dégradation de biens publics ?  
Oui, et j’en suis bien conscient. Je remets quand même toujours cela en perspective : aujourd’hui, une partie des panneaux de signalisation ne sont déjà pas aux normes avant qu’ils ne soient détournés car ils sont censés être réfléchissants. Les fabricants m'ont expliqué qu’au bout de 15/20 ans maximum ces panneaux devraient être changés et beaucoup ont plus de 20 ans, leur date de fabrication est au dos. Ceux sur lesquels des stickers ont été posés ne sont plus, eux aussi, aux normes. Le plus gros problème que je pourrais avoir ce n'est pas tant de me faire attraper par la police sur le fait mais plutôt que la ville porte plainte. C'est pour cette raison que je travaille dans de petites villes. Et si deux jours après, le panneau est enlevé, cela ne sert à rien d'insister à cet endroit. Le panneau de signalisation est certainement l’objet que l’on croise le plus au quotidien. En rajoutant quelque chose dessus, il reste lisible mais devient encore plus visible dans l’espace urbain. C’est gagnant-gagnant pour tout le monde. D’ailleurs en avril, j’ai été invité par Codes Rousseau, une des sociétés qui édite des supports pédagogiques au code de la route, pour leur première Convention Nationale. J'ai fait découvrir mes détournements à des moniteurs d’auto-école qui m’ont dit : si les sens interdits étaient détournés, je suis sûr que nos élèves les verraient mieux !

Panneau de signalisation détourné par le street-artiste Likeca (LIKECA)

Depuis 2023, vous enchaînez les expositions mais c'est la première solo, dans le cadre du Festival des Cultures Urbaines...
J’ai commencé à exposer en 2021, au Carré des Coignard, à Nogent-sur-Marne (94). Depuis, j’enchaîne les petites expositions collectives. Ravel tombe dans le panneau au Centre Maurice Ravel marque un point d’étape plutôt cool, surtout dans le cadre du Festival des Cultures Urbaines qui offre un beau concentré d'art urbain dans le 12e arrondissement. J’aime bien le cadre de la rue mais ça n'arrive jamais de trouver plein de panneaux détournés dans des rues proches. L’idée de l’exposition était d'en regrouper dans un seul et même lieu un maximum. Tous les panneaux qui sont ici ont été achetés neufs auprès d'un fabricant. 


Vous organisez aussi des ateliers tout au long de l'année ? 
Oui, dans le cadre du Festival des Cultures Urbaines, des ateliers sont organisés, par exemple samedi 11 mai de 14h à 16h. Il s'agit de montrer comment je travaille rapidement dans la rue et permettre à petits et grands de repartir - gratuitement - avec un détournement qu’ils auront réalisé. En parallèle, j'organise des ateliers avec des scolaires dans des collèges et lycées. Le plus souvent c'est un atelier de 2 heures où je vais ramener plusieurs panneaux sur feuilles pour expliquer ce qu'est l'art urbain, ce qu'est le détournement de panneaux, ce qu'est un bon détournement. Puis j'essaye de travailler avec eux sur de nouveaux détournements. Ces ateliers sont pour la plupart facilités par le PassCulture. Je collabore aussi avec le théâtre Gérard Philipe de Frouard en Meuthe-et-Moselle pour leur événement la Bougeotte, qui se tient fin mai. J'ai travaillé avec eux sur une signalétique qui changeait de l'ordinaire.

Le street-artiste Likeca exposé au centre Maurice Ravel à Paris, mai 2024 (LIKECA)

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